Le cheval, une viande qui fait débat
Faut-il ou non manger du cheval ? Le sujet oppose depuis des siècles les amateurs de cette viande à ceux qui considèrent le cheval comme un animal de compagnie. En France, depuis le scandale des lasagnes au cheval, le débat connaît un nouvel élan.
Le scandale de la viande de cheval retrouvée dans des lasagnes censées contenir du bœuf a remis sur le devant de la scène la consommation de viande chevaline. Et loin d’en pâtir, les bouchers chevalins voient depuis plusieurs semaines les clients affluer dans leurs boutiques. "Les gens qui ne mangeaient plus cette viande ont été déculpabilisés par le scandale des lasagnes qui a remis au goût du jour le cheval", estime Éric Vigoureux, président de la Fédération des boucheries hippophagiques de France. "Les ménages avaient oublié que la viande de cheval fait partie du patrimoine gastronomique français. Ils redécouvrent une viande qu’ils mangeaient enfant", ajoute-t-il.
Même constat du côté des restaurants servant du cheval. "Mes plats à base de viande chevaline connaissent un nouvel élan, les curieux se pressent pour en manger, souligne Otis Lebert, chef du Taxi jaune, un restaurant parisien qui propose du cheval depuis plus de dix ans. Toutefois, le cuisinier nuance ce regain d’intérêt : "Les gens qui n’ont jamais mangé cette viande continuent de la boycotter, notamment par conviction".
La viande de cheval interdite pour raisons religieuses
"Le tabou de l’hippophagie est avant tout religieux, donc bien ancré dans nos sociétés judéo-chrétiennes", explique Jean-François Poulain, sociologue, auteur du "Dictionnaire des cultures alimentaires". Au VIIIe siècle, l’Église catholique jette en effet l’anathème sur les consommateurs de viande chevaline, visant en premier lieu les peuples païens du Nord, qu’elle souhaite convertir. Le pape Grégoire III en interdit la consommation en 732, estimant qu’il s’agit d’une "pratique abominable". Avec l’apparition de la féodalité, le cheval devient l’animal emblématique de la noblesse, ce qui contribue à renforcer le tabou de l’hippophagie.
Il faudra attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour que les mentalités évoluent. Napoléon III autorise la vente de viande chevaline, la Société protectrice des animaux (SPA) - qui a, depuis, changé de point de vue - soutient alors cette consommation, voyant dans l’hippophagie un moyen d’éviter des souffrances aux chevaux âgés. La première boucherie ouvre ses portes en 1866 à Nancy, suivie d’une deuxième à Paris. "À l’époque, les hippophages mettent en avant les nombreuses qualités nutritionnelles de cette viande, peu grasse et riche en fer et son coût moins élevé que le bœuf", poursuit Jean-François Poulain. La consommation de viande de cheval connaîtra son âge d’or dans les années 1960 avec près de deux kilos par personne et par an, pour dégringoler finalement au début des années 1980 du fait de scandales sanitaires. "Les lobbys végétariens ont fait beaucoup de mal à la filière. En 1988, du fait notamment des attaques de Brigitte Bardot, mon chiffre d’affaires a chuté de 85 %", affirme Éric Vigoureux.
Une filière fragile
Dans l’Hexagone, la consommation est désormais relativement constante. "Nous avons quelques fluctuations positives comme actuellement avec le scandale des lasagnes ou avec celui de la vache folle il y a quelques années, mais dans l’ensemble la consommation est stable", poursuit le président de la fédération, qui insiste sur le caractère artisanal et paysan de la filière chevaline. Aujourd’hui, cette consommation représente moins de 0,3 kg par habitant et par an. En comparaison, celle du bœuf s’élève à 25,8 kg par habitant. Quelque 18 % des ménages français (soit 10 millions de personnes) mangent du cheval au moins une fois par an. Cette viande est principalement plébiscitée par les plus de 50 ans, qui constituent près de 73 % des consommateurs français, selon une étude de Kantar WorldPanel-2011 portant sur le comportement des consommateurs. Les plus gros mangeurs se situent en Ile-de-France et dans le Nord-Pas-de-Calais.
La France est le quatrième producteur en Europe, mais sur les 18 000 tonnes de viande de cheval consommées chaque année en France, 60 % sont importés notamment de Belgique, de Pologne, du Canada ou du Mexique, selon France AgriMer, établissement national des produits de l’agriculture et de la mer. La filière chevaline est donc largement déficitaire, et les 40 600 éleveurs français ne peuvent vivre de l’élevage de chevaux sans avoir une autre activité plus lucrative. "Les éleveurs ont généralement deux ou trois juments en complément d’un élevage de bovins ou d’ovins dont ils tirent le principal bénéfice", explique Éric Vigoureux. "C’est une petite filière, le rendement est compliqué. On ne peut pas accroître notre production car le cheval est un animal très fragile".
Que dire des 800 bouchers chevalins qui subsistent en France et dont la plupart ont plus de 60 ans ? Leurs boutiques seront-elles reprises ou fermeront-elles leurs portes ? Si le scandale des lasagnes de cheval a remis pour quelques temps cette viande au goût du jour, la filière reste précaire et le débat sur la consommation ou non de cheval n’est pas prêt de se clore.
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